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Les sciences participatives en mer
Lors de nos escales à Brest et à Concarneau, nous avons eu la chance de rencontrer trois personnes qui développent, chacune de leur côté, des programmes de sciences participatives autour de la mer.
Quésaco ?

© Aline de Pazzis · Sailing Hirondelle
On appelle "sciences participatives" des programmes de recherche réalisés conjointement avec des citoyens pour acquérir plus de données. Ces volontaires, assistés par des médiateurs ou les chercheurs eux-mêmes, suivent un protocole scientifique (défini en amont) pour collecter de nouvelles informations afin d’aider les laboratoires de recherche [ou] sur des terrains d'études. Elles viendront donc enrichir les bases de données des laboratoires de recherche ou seront traitées immédiatement.
La première rencontre était avec un passionné des sciences - de toutes les sciences -, de la médiation, et de l’océan : Cédric Courson, co-fondateur d’Astrolabe Expéditions, une association de sciences participatives à bord de voiliers de particuliers. Entre formations, élaborations de protocoles de collecte de données, et week-ends sciences et voile, il s’émerveille devant l’incroyable spectacle du vivant, partageant des histoires de baignade nocturne, sous un ciel étoilé, dans une voie lactée marine faite de plancton bioluminescent.
La science, domaine par excellence de l’expert ?
Comme nous le raconte Cédric, « Historiquement, la science participative a longtemps été la normalité ». « Avec le siècle des Lumières, la science est devenue quelque chose du domaine des spécialistes, on en a fait une élite de gens à penser. » Pourtant, lors des périodes de grandes découvertes, les navigants devaient être les yeux et les mains des chercheurs. Pour les assister, des peintres et dessinateurs embarquaient, afin de restituer au mieux les découvertes – qui d’ailleurs seraient restées inconnues des européens sans ces « participants ». Et même avant, comme nous le rappelle Cédric, longtemps « la science a été le territoire de tout le monde : on faisait de la science pour faire de l’agriculture, pour gérer le temps, pour gérer la cité ».
Depuis les années 1960, les initiatives de sciences participatives reviennent au goût du jour. Les précurseurs se trouvent outre-Atlantique et leur donnent même un nom : ‘citizen science’. Il est bien pratique de pouvoir utiliser des milliers d’yeux répartis sur un territoire étendu pour observer la nature et ses évolutions. Recenser les populations de certaines espèces, notamment d’oiseaux et de papillons, observer les migrations ; la science participative devient un outil supplémentaire à disposition des chercheurs. Des taxonomistes* non-professionnels sont à l’origine de plus de la moitié des espèces d’animaux décrits entre 1998 et 2007 – souvent des scientifiques retraités et bénévoles amateurs (Boeuf et al. 2012).
A terre, les programmes se développent, s’étendent et se banalisent. Les occasions d’y participer sont nombreuses, directement depuis son jardin ou lors de promenades en ville comme à la campagne.
Et en mer ?
L’océan, milieu hostile et plus difficilement accessible aux terriens que nous sommes, se prête moins allègrement aux sciences participatives. Disposer d’un navire, savoir naviguer ou plonger en autonomie, faire face aux contraintes météorologiques et matérielles : les défis sont de taille ! Pourtant, sur l’eau aussi, les sciences participatives tendent à se développer - avec un peu de retard toutefois. Téléphones, internet, photo et vidéo, la banalisation d’outils modernes permet au public de s’investir depuis tout lieu.
Astrolabe Expéditions met en avant les 14 000 plaisanciers continuellement présents en haute mer* ; une ressource formidable pour la collecte de données à la fois physiques, chimiques et biologiques. Cette belle flottille peut - si elle le souhaite - embarquer des technologies, comme des thermomètres, des filets à plancton, ou encore des hydrophones, pour collecter des données de part et d’autre du globe. Une brève formation avant le départ, la transmission des gestes et protocoles à suivre afin de respecter la rigueur nécessaire à cette collecte, et les marins deviennent de formidables partenaires aux navires de recherche océanique, dont le déploiement coûte très cher, et se prévoit longtemps à l’avance, généralement sur un itinéraire précis et court.
Sur l’estran, cette bande de littoral qui se couvre et se découvre au gré des marées, d’autres programmes, comme Plages Vivantes dont s’occupe Pauline Poisson, amènent les élèves en bord de mer. « L’objectif c’est de faire participer les citoyens, qu’ils aient des connaissances scientifiques ou non, à des programmes scientifiques pour les reconnecter aux enjeux de conservation – en l'occurrence du haut de plage – et de récupérer des données. »
Entre la haute mer et le littoral, les milliers de plaisanciers qui sortent à la journée à bord d’embarcations de toutes tailles sont la base de programmes comme Objectif Plancton. Chaque année aux mêmes périodes dans la baie de Concarneau et la rade de Brest, les chercheurs organisent avec l’Amicale des plaisanciers quelques journées dédiées à la collecte de données. Ces prélèvements de plancton et de mesures de turbidité* de l’eau ont des localisations GPS précises permettant aux organisateurs de suivre l’évolution du plancton dans l’espace et le temps. Après la sortie en mer, les plaisanciers sont invités à découvrir le fruit de leur collecte sous le microscope, dans un moment de science et de convivialité.
Bien plus qu’un simple outil pour la recherche, les sciences participatives impliquent directement les citoyens sur des enjeux contemporains. “Mettre les mains dans le cambouis” – ou dans l’eau -, être sur le terrain, observer par soi-même le fonctionnement d’un écosystème, les pressions qu’il subit et les évolutions en cours permet au citoyens de s’emparer d’une question, mieux comprendre l’enjeu, et in fine devenir de meilleurs ambassadeurs de celui-ci.
Les participants, par cet engagement actif et leur implication personnelle, peuvent devenir à leur tour les défenseurs des causes qu’ils découvrent. Cet apprentissage nous permet de prendre des décisions plus éclairées, influence nos comportements, et encourage chacun d’entre nous à devenir porte parole des enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Petit bonus : être proche de l’océan nourrit des connexions émotionnelles fortes qui améliorent notre bien-être !
*La taxonomie, c'est la science des lois de la classification : la conception, la dénomination et la classification des groupes d'organismes.
*La turbité correspond au caractère plus ou moins trouble, indiquant la présence de particules en suspension.
*La haute mer est la partie de l'océan qui n'est pas soumise à la juridiction des Etats, la haute mer couvre la moitié de la surface du globe.
Alors que débute la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2020), qui incorpore un grand volet “Ocean Literacy” - ou éducation à l’océan - les sciences participatives en mer forment un formidable vecteur de sensibilisation et d’investissement des citoyens dans l’agenda scientifique. Comme nous raconte Nadia Améziane,
Tant qu’on n’est pas allé voir le 7ème continent de plastique, on a du mal à l’intégrer. Alors que quand je suis allée prélever moi-même du plancton, et que je regarde sous le microscope et je vois qu’il y a du plastique, là ça me fait réfléchir beaucoup plus.
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Alors comment participer ?
Si vous avez un voilier, ou si vous habitez à Brest, Roscoff ou Concarneau et souhaitez embarquer sur une sortie, suivez Objectif Plancton→ site
L’application Click&Fish, de l’Ifremer, qui recense les engins de pêche perdus ou abandonnés → https://fishandclick.ifremer.fr/
L’application et le site ObsEnMer → Depuis la côte ou en mer, vous pouvez noter vos observations de faune marine directement sur l’application ou le site ObsenMer, une plateforme collaborative qui regroupe les observations de mammifères, tortues, oiseaux, poissons →https://www.obsenmer.org/
Astrolabe Expéditions - avec des weekends science et voiles → http://www.astrolabe-expeditions.org/
The Great Nurdle Hunt - une association anglaise qui recueille des informations sur les “larmes de sirènes”, les petits pellets de plastique brut qu’on peut souvent retrouver sur les plages → https://www.nurdlehunt.org.uk/take-part/take-part.html
POUR ALLER PLUS LOIN
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Boeuf et al., L’apport des sciences participatives à la connaissance de la biodiversité en France, Lettre de l’OCIM, 2012
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Cigliano et al., Making marine and coastal citizen science matter, Ocean and Coastal Management, 2015
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Theobald, Ettinger et al., Global Change and Local Solutions: Tapping the unrealized potential of citizen science for biodiversity research, Biological Conservation, 2014
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Sciences participatives et biodiversité - conduire un projet pour la recherche, l’action publique, l’éducation, Guide de bonnes pratiques, Collectif Sciences Participatives Biodiversité, 2016